Il avait relevé le regard vers lui, il s'appelait Arthur McAllister. Plus jeune, il était tombé sous le charme de Cassy qui portait en ce jour le nom de McAllister. Mais il l'avait porté en premier, né dans cette famille anglaise et auparavant londonienne pure souche, il avait les cheveux blonds de son père et les yeux bleus de sa mère. Elle, Cassy, elle était brune, et elle avait de magnifiques yeux bruns, mais il était tombé amoureux de son caractère avant de tomber amoureux de son physique.

ARTHUR : Mange doucement.
CASSY : Arthur, je t'en prie, laisse les manger tranquillement.

C'était une soirée tout à fait normale chez eux, ce soir-là. Le garçon à qui s'adressait Arthur avait relevé les yeux. Il ressemblait comme deux gouttes d'eau à sa mère qui pourtant était loin d'être fière de lui. Il était le seul garçon de la famille, et il avait l'impression chaque jour d'être la seule erreur. Ses sœurs étaient fidèles à elles même, toutes blondes avec de magnifiques yeux bleus. Déjà, il y avait Ellie McAllister, la plus âgée, elle faisait de la danse et apprenait à jouer du piano, elle passait son temps avec son groupe d'amis, un nombre vertigineux, et son autre sœur : Scarlee McAllister. Scarlee, elle, chantait et apprenait à jouer de la guitare. Et enfin, il y avait la petite dernière : Laylee. Laylee avait un an de moins que Flash, et pourtant elle était beaucoup plus brillante. Et ils ne se manquaient pas de le lui rappeler.

ARTHUR : Alors, des notes aujourd'hui ?
ELLIE : Si je me souviens bien, Scarlee a eu un seize en littérature anglaise, Laylee un dix-neuf en espagnol et j'ai eu vingt en langues.
ARTHUR : Et toi, Flash ?

Il avait rabaissé le regard vers sa soupe et il n'avait pas parlé, simplement parce qu'il sentait qu'il comptait lui faire des reproches toute la soirée. Oui, ça avait toujours été comme ça chez les McAllister, le seul garçon se devait d'être irréprochable, même s'il faisait des efforts ce n'était pas assez. Il avait seulement gardé ses yeux sur cette pauvre soupe au chèvre et il s'était demandé comment ce serait, s'ils avaient été que des garçons pour une fille. Quand Arthur tapait sur la table, le garçon sursautait et se mordait les lèvres.

FLASH : Dix-sept.. En maths.
ARTHUR : Et les autres matières ?
FLASH : Dix en langues, six en espagnol, douze en littérature..
ARTHUR : T'es doué dans la seule chose qui ne te servira à rien dans la vie, c'est bien malin ça.

Il s'était levé, le jeune homme. Il avait reposé la cuillère à soupe sur le bord de son assiette creuse et il s'était échappé de table. Il avait monté les escaliers à une vitesse incroyable. Il ne voulait pas entendre un seul mot de plus de la part de son père. Il était toujours à le descendre, alors même qu'il faisait des efforts surhumains pour essayer de tenir. Fermant la porte de sa chambre à clé, il finit par s'approcher de sa table de nuit et prit ce carnet. Laylee le lui avait offert pour qu'il y dessine, il venait d'y trouver une autre utilité.

« Je ne sais pas par où commencer. Cher journal ?
En réalité, voilà, ça me ferait trop étrange de commencer une page de cette façon. Je vais donc faire comme si j'écrivais à un très lointain correspondant, et c'est en quelques sortes le cas. Moi du futur, je suis ravi que tu lise ça. Mais avant toutes choses, je vais me présenter pour que tu te situe un peu dans la position où je suis. Je m'appelle Flash McAllister, mais ça tu le sais, n'est-ce pas ? J'ai seize ans. J'ai trois sœurs, combien en as-tu le jour où tu lis ça ? J'en sais trop rien. Il y a Ellie, Scarlee et Laylee. Elles sont blondes, elles sont belles et elles sont brillantes. Je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas ces trois chances-là, moi.
On doit se demander tiens, pourquoi il écrit aujourd'hui et pas les autres jours. Oh parce qu'aujourd'hui je craque. Encore des remarques, encore et toujours. Ils ne savent faire que ça. Même au lycée, tu sais. C'est pas un seul jour, c'est tout les jours. Je reçois des remarques déplacées, insultes, coups des fois. En plein cours même, mais les profs font comme si. Comme s'ils ne voyaient rien. Les filles, elles m'ignorent. Elles ne savent rien. Mes parents non plus d'ailleurs. Absolument pas, déjà qu'ils me voient comme une des pires erreurs qui soit, est-ce que je dois leur dire que d'autres s'amusent à me briser un peu plus de l'intérieur, chaque jour ? Je ferais mieux de ne rien dire. Ne jamais rien dire.
Les seules choses qui affirment que ma peine est réelle, c'est les cicatrices qui resteront probablement sur mes hanches de ce que j'ai pu faire. Ne me juge pas, je t'en prie. J'ai tellement mal, c'est une douleur affreuse. Le genre de douleur violente, qu'on ressent plus d'une fois à cause d'une même remarque. C'est toujours le même genre de remarques : T'es lourd Flash ; Pourquoi tu ressembles pas à tes sœurs ? Elles doivent avoir honte de toi ; Tu es en soit une réelle erreur. Je suis en soit une réelle erreur, j'en ai conscience. Devrais-je ? J'ai mal au cœur. J'en ai marre d'avoir mal au cœur. N'ai-je pas le droit de reporter ce mal sur une autre partie de mon corps ?

Je me suis moi-même lu, aujourd'hui. J'avais même oublié ce journal, aurai-je du ? J'ai vingt-trois ans. C'est un grand écart, et pourtant je réécris ici pour un futur proche ou lointain, lorsque je relirais ce journal. J'ai mal, de nouveau. Plus pour les même raisons j'ose l'espérer. J'ai mal parce que je suis amoureux, c'est violent. C'est brutal. Et ça blesse, oh croyez moi ça blesse. Elle s'appelait Anya. Ses cheveux étaient roux, je m'en souviendrais probablement toute ma vie. Elle m'a quitté pour quelqu'un de beaucoup plus jeune, de dix-sept ans. Un de mes élèves. Oh oui, je suis professeur de mathématiques dans un lycée. Tout les jours, j'avais l'habitude de sentir ses lèvres contre les miennes, son souffle dans mon cou ou alors d'inspirer son odeur, de caresser ses cheveux secs et roux, de regarder ses yeux bleus. Maintenant, tout les jours, je le vois poser ses lèvres contre celles de la femme que j'aime, je le vois passer ses mains dans ses cheveux, à l'emplacement où je mettais les miennes, je le vois la toucher. Je l'imagine la toucher, alors qu'elle était mienne. Dois-je vraiment continuer d'y penser ?
Les filles ont changées. Ellie est professeur de danse, elle m'apprend d'ailleurs à danser et j'adore ça. Ce qui me fait penser d'ailleurs que d'ici quelques heures, je vais devoir la rejoindre pour apprendre un peu plus. Deux professeurs dans une même famille, beaucoup ? Et encore. Scarlee a abandonné le côté trop fille modèle et est devenue professeur également, mais professeur d'auto-défense et d'arts martiaux. Comment dire ? Il ne faut pas la siffler dans la rue, sinon on risque de prendre vraiment cher. Et puis il y a ma magnifique petite Laylee. Oh Laylee, elle est toujours étudiante en sciences. En sciences, oui. Elle veut devenir ingénieure, et ce depuis la mort de maman. Ils ne sont plus là, oui. Papa est mort lorsque j'avais dix-sept ans, il a fait un accident vasculaire cérébral. Il est mort sur le coup, et j'ai haïs les médecins de ne pas l'avoir ramené. Maman est morte depuis quelques mois maintenant, je pense que dans le fond personne ne s'en remet réellement. Elle est morte d'un cancer du foie. Et pour en ajouter à ça, j'ai appris que j'étais en insuffisance cardiaque. Mais je ne compte pas l'avouer aux filles, pas encore. Sur ce, je pense arrêter d'écrire. J'ai mes six chats à nourrir, et Ellie m'attend.

Flash McAllister. »

Il avait refermé son cahier, et il avait posé son stylo. Il s'était levé alors, il avait versé les croquettes dans chacune des gamelles et, sortant de sa chambre, avait passé ses bras autour du corps fin de la blonde, de sa grande sœur.

ELLIE : J'ai faillis t'attendre, connard.