C’est un début de soirée pluvieuse. Il est 20h, nous sommes au début de l’hiver. La pluie a pris fin, laissant au-dehors les nuages s’écarter pour découvrir. Un ciel d’un bleu intense apparaît alors. Dans moins d’une heure il deviendra complètement noir. Et dans les rues, les lampadaires à la lumière jaune orangée, laisse curieusement penser à un tableau de Van Gogh. Sur les vitres des fenêtres, des perles de pluie résident encore, signe du torrent qui vient de s’abattre. Et sur le sol, les trottoirs sont recouverts d’humidité, relevant l’odeur du béton, tandis que dans certaines flaques, les lueurs orangées se reflètent. Virginia se dégage de la fenêtre en œil de bœuf, laissant derrière elle le rideau de fine mousseline se reposer contre la vitre. Elle est au dernier étage de la maison familiale, dans le petit boudoir que les filles s’étaient aménagé sous les combles pour faire leurs petites discussions de salon de thé. De l’autre côté de la pièce, Harriet sa mère est assise sur la petite banquette aux couleurs pastel. Elle la regarde sans parler. Elles n’ont pas réussi à discuter aujourd’hui. Elles ont tout au plus échangé quelques banalités, vides de sens. La brune fend le parquet grinçant de ses pieds nus et s’évapore. Elle est vêtue d’une robe de nuit, elle est blanche et longue, elle lui descend jusqu’à ses talons, comme ces robes que l’on voit dans les romans de Jane Austen. Elle ne parvient pas à mettre des mots sur ce qui ne va pas. Elle n’arrive pas à parler. Et pourtant elle est venue ici, dans sa maison d’enfance, un hôtel particulier à briques rouges dans le quartier de Chelsea. Elle était l’enfant prodige, celle qui réussissait tout ce qu’elle touchait. Et puis tout s’est arrêté. Tout d’un coup, sans crier gare. Pourquoi maintenant ? Pourquoi maintenant et pas il y a quatorze ans, quand son père est mort. Il y a quatorze quand elle a découvert le corps de son père, étendu contre le sol de son bureau, baignant dans son sang, une mare de sang, à cause de la balle qu’il s’était logé dans la tête. Elle était venue ici comme un refuge, dans cette maison où elle avait toujours grandie, où les peines du passé avaient cicatrisées, cette maison que sa mère avait gardé pendant son deuil, après, lorsqu’elle a décidé de refaire sa vie, de se remarier, de fonder une nouvelle famille. Elle était venue en pensant trouver des réponses, mais il n’y en avait pas. Elle avait survécu à la mort de son père sans broncher, son traumatisme n’avait jamais entaché sa créativité, et tout d’un coup, comme si sa crise avait été retardée, elle se sentait vidée de toute inspiration. Elle ne savait plus comment avancer, elle n'avait jamais vécu sans ce petit quelque-chose, cette flamme, cette passion qui l'animait.