« Bryan dix, Julie huit. Martin il va falloir faire des efforts ! » « AZRAËL DESCENDS ! » Je relevais la tête de mon univers fictif. J'avais sept ans et j'étais en train de jouer l'instituteur dans ma chambre. Face à moi, des peluches de toutes sortes, positionnés comme si c'était des élèves. J'avais des papiers dans les mains où j'avais mis des notes et où je faisais semblant d'être le professeur. Je rêvais d'être instituteur. Je trouvais cela absolument formidable. Quand les professeurs me demandaient de distribuer les copies de mes camarades je ne pouvais m'empêcher de prendre un air autoritaire. Ce qui m'avait valu des coups de poings de la part des cancres de la classe. Je remontais mes lunettes sur le net – myope de naissance je ne les quittais jamais. Je rangeais mes peluches sur mon lit rapidement avant de sortir de ma chambre et de descendre les escaliers. Ma tante était arrivée avec mon cousin. Il avait le même âge que moi et nous étions totalement différents. Lui, il adorait les jeux de bagarre et jouer au foot, moi je préférais lire et être dans mon petit monde. Je leur disais bonjour.
« Allez jouer les garçons ! » Je fis la grimace, les mains dans les poches de mon jean je suivais Hector dans le jardin. Il prit un ballon qui traînait près de la petite cabane en bois où mon père rangeait ses outils. On y jouait pendant une dizaine de minutes jusqu'à ce qu'il tire un peu trop fort et que je me prenne le ballon en plein visage. Le visage ruisselant de sang je me mis à hurler et à pleurer. Nos parents coururent rapidement dans le jardin et mon père regarda les dégâts.
« C'est une chochotte. » « Hector ! » Son père se mit à le gronder pendant que je continuais à pleurer à chaudes larmes. Le sang ne s'arrêtait pas de couler et j'avais terriblement mal. Mes parents décidèrent de me conduire à l'hôpital. Mon cousin m'avait fracturé le nez par son coup. Je rentrais chez moi avec l'arrête du nez immobilisé et avec un sacré hématome sur le visage. Je dus rater une semaine d'école à cause de la douleur occasionnée. Cela me brisait le cœur. Allongé sur mon lit, je serrais mes peluches contre moi. Le sport, plus jamais.
« Erwan deux, Juliet six, Carly cinq, Azraël dix-huit. » Tout de suite des murmures s'élevaient, j'entendais les mots fayots, la tête, l'intellectuel. C'était n'importe quoi. C'était pas parce qu'ils étaient nuls que je devais l'être aussi. J'avais seize ans. J'étais en première année de lycée et la littérature me passionnait de plus en plus. Nous avions du faire notre première dissertation sur Keats. Je n'étais pas forcément fan de poésie, préférant largement le théâtre mais j'avais passé des heures et des heures sur cette dissertation, restant jusqu'à tard le soir en bibliothèque. J'avais mérité ma note et j'en étais heureux. Cela me consolait quand à mes notes catastrophiques en sciences. La sonnerie retentit et je me levais, mettant mon classeur dans mon sac. Une silhouette vint se poser devant moi.
« Azraël ? » C'était Carly. Elle était jolie avec ses cheveux auburn. Je me mis à sourire.
« Oui ? » « Tu pourrais m'aider à recommencer ma dissertation ? » Je ne m'y attendais pas. Après tout j'étais considéré comme une tête. Carly était une des filles les plus jolies de la classe et qu'elle parle à un tocard comme moi était le monde à l'envers. En plus elle était tellement mignonne. Moi qui posait de sacrées questions sur ma sexualité à cause du discours philosophique de mon père, j'étais perdu.
« D'accord. » « Ce soir ? » « Euh...okay. » Elle me sourit avant de filer avec ses copines et de rire. Elle devait se moquer de moi. Cela ne serait pas étonnant, mais je laissais tomber. Je pris la direction de la bibliothèque. J'avais du temps avant déjeuner et je pourrais finir la lecture que le professeur nous avait conseillé. La journée passait assez vite et Carly me proposait d'aller travailler chez elle. Sa mère n'appréciant pas quand elle rentrait tard, ce que j'acceptais. Nous étions dans sa chambre et j'essayais de lui expliquer tant bien que mal la poésie de Keats et le rapport au sujet de dissertation. A croire que je parlais dans le vide car je sentis sa main passer dans mes cheveux. Je me mis à rire légèrement.
« Qu'est ce que tu fais ? » Elle me regardait en penchant légèrement la tête, avec un sourire.
« Tu es plutôt mignon, pourquoi tu es renfermé comme ça ? » « Je suis venu pour t'aider sur Keats. » « Oublie Keats un moment... » Elle se mit à m'embrasser et je restais comme tétaniser. Pourquoi est-ce qu'une des filles les plus mignonnes m'embrasserait ? Je restais stoïque comme si on venait de me mettre une gifle. Elle vint s'asseoir sur mes genoux. Je sentais son parfum, je le respirais, je l'observais. Okay, je pouvais le dire à cet instant précis que j'étais hétérosexuel et que jamais je n'avais eu ce genre de pensées pour un homme. Carly était belle, magnifique et irrésistible. Nous sommes sortis ensemble pendant six mois avant qu'elle me plaque pour un sportif :
« Tu comprends, j'aime faire la fête et franchement... la littérature. » Elle roulait des yeux. Je parlais trop de littérature pour elle. J'étais passionné était-ce ma faute ? Elle préférait un homme qui n'avait rien dans la crâne ? Ce fut la première fois que j'avais le cœur brisé. Le soir même je jouais dans mon assiette sans trop vouloir manger les lasagnes qui étaient pourtant un de mes plats préférés.
« Aimer, c'est essentiellement vouloir être aimé. » Mon père avait pris la parole et franchement la dernière chose que je voulais c'était un cours de philosophie.
« Georges, laisse-le. » Ma mère le regardait pour le faire taire. Je restais les yeux fixés sur mon assiette. L'amour pouvait-il faire aussi mal ?
La fac. Le pied. Ce fut sans doute mes meilleures années. J'avais décidé de devenir professeur mais pas au collège ni au lycée, j'avais de l'ambition je voulais être professeur d'université et faire ce que j'aimais. Alors, les études se passèrent bien et la dernière année fut sans doute la pire au niveau de la pression. J'étais en train de m'endormir sur mon classeur dans la bibliothèque universitaire quand Jade me donna un coup de règles sur les doigts. Je me relevais d'un coup, me radiant.
« Tu es malade ! » « Nous passons notre examen demain, tu m'as demandé de te garder éveillé. » Je me donnais une gifle pour en effet garder mes yeux ouverts. Il ne me restait que quelques heures pour que je sois au point. C'était toutes mes études que je jouais et surtout c'était mon avenir. Les mois qui s'étaient écoulés commençaient à se ressentir dans mon corps. Mon visage était creusé, des cernes et j'avais vu peu mes amis. Déjà que j'en avais peu.
« Il faudrait que tu dormes un peu quand même. » Elle se leva, me demandant de prendre mes affaires. La bibliothèque allait fermer. On allait chez elle, à deux pas de l'université et je rouvris mes classeurs. Au bout d'un moment je m'endormis. Ce fut la lumière du jour qui me réveillait. Jade dormait à côté de moi. Je regardais l'heure. Je n'avais qu'une demi-heure pour me préparer. Je balançais un livre dans la tête de Jade.
« Réveille-toi ! Merde ! On a dormi ! » Elle passait aussi l'agrégation. On se préparait, je lissais ma chemise pour ne pas avoir l'air trop dégueulasse et on se mit à courir jusqu'à la faculté. La plupart des élèves étaient déjà installés dans l'amphithéâtre pour l'examen. Tout allait se jouer maintenant. Je m'assis, Jade était à deux rangs devant moi et je priais pour que tous les deux on obtienne notre Graal. A croire que la prière avait marché. J'avais réussi. Professeur de littérature. Jade avait réussi, professeur d'histoire. C'était magnifique. On avait sauté dans les bras de l'un et de l'autre. Nous avions réussi. Je dormais une semaine d'affilée tellement j'avais accumulé de sommeil, me levant juste pour manger. J'avais réussi, le travail de toute ma vie.
« Ta nièce ? » Je regardais mon meilleur ami en buvant une bière chez lui. J'étais confortablement installé dans son canapé. J'avais terminé de donner mes cours de bonne heure et comme à chaque fois je squattais chez lui en attendant qu'il fasse à manger. Cuisinier de formation, je venais souvent manger dans son restaurant ou chez lui.
« Tu as mon âge et tu as une nièce de vingt-et-un ans ? » Je me mis à rire bêtement. C'était pas croyable quand même.
« M'en parles pas... Ma sœur elle m'a appelé pour dire qu'elle et son mari ils se barrent je ne sais où et qu'elle me l'envoie pour qu'elle fasse ses études ici. » « La chance... » Je roulais des yeux avant de reboire une gorgée. Il n'avait pas l'air franchement satisfait mais il me confiait que cela ne la dérangeait pas et que cela allait lui faire de la compagnie.
« Dis encore que je ne suis pas ce qu'il te faut. » Je riais avant de me lever pour aller prendre quelque chose dans le frigo. Je faisais comme chez moi. Cela faisait cinq ans que je faisais ça. Je n'allais pas changer maintenant.
« Je ne peux pas aller la chercher à la gare et ça m'énerve. Elle va se perdre, j'en suis sûre. » « Mais non, faut vraiment être con pour se perdre ici ! » Nous passions le reste de la soirée à parler et je rentrais chez moi vers minuit. Le lendemain allait être un peu difficile. Tant pis.
La semaine était passée très vite. J'étais passé à la gare pour commander mes billets pour un week-end avec Jade. On allait sans doute parler de nos élèves et à quel point certains étaient nuls. C'est alors que je vis une fille qui regardait partout avec deux valises et un sac à dos. Elle avait l'air perdu. En tout cas elle n'avait rien d'une citadine. Son air perdu fit que j'allais à sa hauteur.
« Vous cherchez quelque chose ? Je peux vous aider ? » Je la vis me regarder comme si j'étais un monstre et elle s'enfuit en courant. Drôle de fille. Elle était un peu grave. Je retournais au guichet, prenant mes billets et envoyant un message à Jade pour lui dire que notre week-end à Cambridge était confirmé. Cela allait nous faire du bien. Le soir je me rendis à l'appartement de mon meilleur ami, frappant plusieurs coups il m'ouvrit, aux bords des larmes.
« Qu'est ce que t'as ? » « Elle me fait virer chèvre ! » « Oh. Elle est arrivée ? » « Elle est chiante. » Je me mis à rire avant d'entrer dans l'appartement.
« Pourquoi ? » « Elle pense tout savoir et elle ne veut pas manger avec moi disant que je le mérite pas. » « Bah laisse tomber. » Je m'enfonçais dans le canapé.
« Tonton tu as vraiment des amis malpoli et sans gêne. » Je relevais la tête vers la demoiselle qui me lançait un regard assassin avant de s'enfermer dans sa nouvelle chambre.
« Charmant en effet. »« Où est ce que tu vas petit poussin ? » Je pris Charlie par le col de sa robe avant de la traîner jusqu'à ma salle de classe. Depuis que je l'avais rencontré je l'appelais petit poussin et je savais que cela l'agaçait énormément. Charlie était la nièce de mon meilleur ami et aussi une de mes élèves qui prenaient un malin plaisir à sécher.
« Mais lâche-moi ! » « Tu vas voir, ça va être passionnant aujourd'hui ! » On entrait dans la classe sous les regards médusés de ses camarades. Je la lâchais pour qu'elle aille à sa place et elle se mit à bouder en allant s'installer. Les notes de Charlie étaient catastrophiques et mon meilleur ami était venu pleurer dans mes bras en me demandant de faire quelque chose sinon sa sœur allait le trucider. Je lui avais alors donné quelques cours particuliers mais à chaque fois elle réagissait bizarrement. Au début, elle était présente en cours, et puis les mois avaient passé et à présent s'était à peine si elle me regardait. Je laissais tomber.
« Bon, je vais vous rendre vos dissertations. » Je pris les copies qui étaient dans ma sacoche avant de les distribuer.
« Thea très bien, tu pouvais encore plus poussé ta réflexion. Jordan je ne veux pas de citations de films tirés de livres de Shakespeare. Charlie... tu viendras me voir à la fin de l'heure. » Quatre. Voilà la note qu'elle avait eu. Je la vis se décomposer sur place. Je continuais mon cours sur le théâtre de Shakespeare et surtout avec le thème de la vengeance. L'heure et demi se terminait et la plupart des élèves sortirent dans le couloir. J'allais à la hauteur de Charlie.
« Qu'est ce qui n'a pas marché ? » Elle ne répondit rien. Je voyais bien que cela l'agaçait.
« Ecoute Charlie, je ne fais pas ça pour t'embêter, je t'aime bien et je voudrais vraiment que tu réussisses. J'ai vu aussi que tu ne te mêlais pas aux autres gens de la classe. Je sais que l'on est à la faculté mais c'est toujours mieux de s'entendre avec les autres en travaux dirigés. J'en parlerai à ton oncle. » Je passais ma main sur ma barbe naissante. Elle ne disait toujours rien. Je soupirais. Je pris mes affaires et je sortis dans le couloir.
« Monsieur Cunnigan vous avez vu ma tresse aujourd'hui ? » June me montrait ses cheveux.
« C'est très joli. » Elle me fit un grand sourire.
« Et moi, vous avez vu monsieur je me suis fais tatouée ! » Kaylee me montrait son poignet avec fierté. Je fis sourire.
« BIEN SUR IL N'Y EN A QUE POUR LA SUPERFICIALITÉ ! » Tout le monde se figea avant de voir passer une Charlie complètement furieuse. Je ne comprenais rien à ce qu'elle avait dans le crâne.
« La campagnarde se rebelle. » « Ce n'est pas avec sa tête de pouilleuse qu'elle va réussir à se faire aimer, elle a un caractère de cochon en plus. » « Les filles ! » Je leur lançais un regard sévère.
« Pardon monsieur. » Fit-elle en cœur avant de se diriger vers leur prochain cours. N'empêche, ça devenait vraiment compliqué avec Charlie.